Jain

Livre 5

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Le Samayasāra

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Version 1.53 - 2015-10-11
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Introduction

Le Samayasāra a été enseigné par le grand Maître spirituel jaïn l'Ācārya Kundakunda, qui était à la tête de la section Digambara dite Nandi Gana, au premier siècle de notre ère. Le texte se compose de 415 gāthās (versets) et traite de l'essence de l'âme. Il figure dans le Canon Digambara, et il constitue ainsi l'une des Écritures sacrées très vénérées de cette branche du Jaïnisme. On doit à Kundakunda bien d'autres œuvres, telles que le « Pravachanasāra », le « Pañchāstikāya », le « Niyamasāra », etc. Pour les Jaïns Digambara, le connaissance de Soi est incomplète sans le Samayasāra. Cette œuvre a été écrite en prakrit (saurasenī). Elle a été traduite en hindi par le Pandit Bal Bhadra, en sanskrit par l'Ācārya Amritchandra et en anglais par le Professeur A. Chakravarti, avec une longue introduction et un commentaire détaillé de chaque verset. La présente traduction en français respecte le style de l'auteur.

Chapitre 1
Le Jīva ou l'âme

1. Après m'être respectueusement incliné devant tous les Siddhas (les Āmes pures) qui ont atteint une existence permanente, immuable et incomparable, je vais parler du Samaya Pāhuda ou Sāra (l'essence de l'âme) qui a été exposé par les Maîtres omniscients de l'Écriture.

2. Sachez que le Jīva, qui, dans sa pureté intrinsèque, observe la conduite, le foi et la connaissance justes, est le vrai Soi (l'âme réelle), mais que le Jīva qui est affecté par des matières karmiques n'est pas le vrai.

3. Le Soi qui a réalisé son unité (non contaminé par des choses étrangères) est le bel idéal dans tout l'univers. Associer l'asservissement à cette unité est, de ce fait, contradictoire en soi.

4. L'affirmation, suivant laquelle tous les êtres vivants se caractérisent par le désir et le jouissance des choses du monde et par l'asservissement qui en résulte, a été entendue, observée et personnellement expérimentée par tous.

5. Mais, la réalisation de l'unité du Soi le plus Grand, qui est exempt de toutes ces situations empiriques, par mon expérience personnelle, n'est pas facile à atteindre.

6. Cette très grande Unité, différente des autres états, je vais essayer de la révéler du mieux que je le peux. Si elle correspond à la vérité ou pramānas (la connaissance correcte) acceptez-la. Par contre, si je commets des erreurs dans ma description vous pouvez la rejeter.

7. L'être réel, qui est de la nature du Connaisseur, n'est identique ni aux êtres apramatta (attentifs aux devoirs), ni aux êtres pramatta (non attentifs aux devoirs). Sa nature, en tant que Connaisseur, est unique et identique à elle-même. C'est ce que déclarent les penseurs qui adoptent le point de vue pur (absolu).

8. Du point de vue pratique (vyavahāra), la conduite, le foi et le connaissance sont les qualités (les caractéristiques) attribuées au Connaisseur, au Soi. Par contre, du point de vue réel, il n'y a pas de différentiation de connaissance, de conduite et de foi, dans le Soi pur.

9. De même qu'un non-Aryen (un étranger) ne peut rien arriver à comprendre, excepté au moyen de sa langue non-Aryenne, de même, la connaissance de l'Absolu ne peut être transmise à quelqu'un d'ordinaire, excepté par le point de vue vyavahāra.

10. Quiconque comprend la nature absolue et pure du Soi, par le moyen de la connaissance de l'Écriture, lui, le Sage, la lumière du monde, est appelé un Maître de l'Écriture qui connaît tout.

11. Les Jinas l'appellent un Shrutakevalī (quelqu'un qui a une connaissance complète de l'Écriture). Comme toute connaissance scripturale conduit finalement à la connaissance du Soi, le connaisseur du Soi est, par conséquent, appelé Shrutakevalī (Omniscient).

12. Le point de vue pratique ne révèle pas les choses réelles ; le point de vue pur est dit (relié au) réel ; il est sûr que l'âme qui prend refuge dans le réel est une âme à la vision juste.

13. Le point de vue pur, qui révèle la substance pure, doit être adopté par ceux dont l'objet est d'être les seigneurs de l'état suprême de l'âme. Mais, le point de vue pratique peut l'être, par ceux qui sont satisfaits d'un statut très inférieur.

14. La foi juste est constituée par une compréhension claire du point de vue réel de la nature des catégories suivantes : jīva (l'âme), ajīva (le sans âme), punya (la vertu), pāpa (le vice), āshrava (l'afflux des karmas), samvara (l'arrêt des karmas), nirjarā (l'effacement des karmas), bandha (l'asservissement karmique) et moksha (la libération).

15. Celui qui perçoit l'Ātmā comme non asservie, non touchée, non autre qu'elle-même, permanente, sans aucune différence et non-associée à autre chose, sachez que c'est le point de vue pur (shuddha-naya).

16. Celui qui perçoit le Soi comme non asservi, non touché, non autre que lui-même, ferme et sans aucune différence, comprend toute la doctrine Jaïne qui est la quintessence de l'Écriture.

17. La foi, la connaissance et la conduite doivent toujours être aimées des saints, du point de vue vyavahāra. Sachez qu'en réalité les trois sont le Soi.

18. De même qu'un homme, qui connaît le roi, croit en lui et avec l'objet de son gain le sert avec générosité, de même le roi, l'âme, doit être connue, on doit y croire et avoir pour objectif son émancipation.

19. La matière karmique et la matière du corps non karmique constituent le Je et inversement Je suis identique à la matière karmique et à la matière non-karmique. Aussi longtemps que cette croyance persiste dans le Soi, on dit qu'on est quelqu'un qui manque de connaissance discriminatoire (aprati-buddha).

20 à 22. «  Je suis une autre substance animée, inanimée ou mixte ; je suis moi-même, je suis cela et c'est à moi ; c'était à moi dans le passé et j'étais cela, de nouveau ce sera à moi et je serai cela ». Ces notions erronées sur le Soi (en l'identifiant à des objets autres, comme le corps, etc.) seul, celui qui se trompe (bahir-ātmā) les admet. Mais, celui qui connaît la véritable nature du Soi, qui ne se trompe pas (antar-ātmā), n'admet jamais ces notions erronées sur le Soi.

23. Dans le cas de l'âme caractérisée par diverses émotions (comme le désir, etc.), il y a des objets physiques dont certains sont intimement liés à elle (comme le corps) et certains non intimement liés à elle (comme la richesse). « Ces objets matériels sont miens » déclare (le bahir-ātmā), celui dont l'intellect est trompé par la connaissance fausse.

24. La nature de l'âme, telle qu'elle est vue par l'Omniscient, est associée de façon permanente à la qualité appelée upayoga (qui comprend la connaissance et la perception, par excellence). Comment une telle entité spirituelle peut-elle devenir un objet physique ? Comment peut-on dire alors « cet objet physique est à moi ? ».

25. Si l'âme devient matière, et si la matière devient âme, alors il vous est possible de dire, Oh ! Bahir-ātmā ! « Cet objet physique est à moi ».

26. Si l'âme n'est pas le corps, alors les hymnes glorifiant l'excellence corporelle (rūpastava) du Tīrthankara ou de l'Ācārya sont tous faux. Par conséquent, l'âme doit vraiment être le corps.

27. Le point de vue vyavahāra affirme effectivement que le corps et l'âme sont un, mais, du point de vue nishcaya, l'âme et le corps ne sont jamais identiques.

28. En adorant le corps, qui est différent de l'âme, et qui est constitué de matière, le saint croit « Le Seigneur Omniscient est ainsi adoré et vénéré par moi ».

29. Que l'adoration du corps soit celle du Paramātmā n'est pas exacte, du point de vue nishcaya, car les propriétés du corps ne sont pas celles du Seigneur Omniscient. Quelqu'un qui vénère le Kevalin, le Seigneur Omniscient, doit le faire en adorant ses vraies caractéristiques.

30. De même que la description d'une cité ne constitue pas la description de son gouverneur, de la même façon, l'adoration de son corps n'est pas l'adoration des qualités du Seigneur Omniscient.

31. Celui qui, dominant ses sens, comprend que le Soi est de la nature de la vraie connaissance, est vraiment appelé un vainqueur des sens, par les saints qui connaissent la réalité.

32. Les saints qui connaissent la nature de la réalité absolue, l'appellent jita-moha ou vainqueur de l'illusion, celui qui, en dominant l'illusion, comprend que le Soi est de façon intrinsèque de la nature de la connaissance.

33. Le Rishi (le Sage) qui, après avoir vaincu moha (l'illusion), détruit ensuite complètement moha, qui est la cause profonde des émotions, est appelé, par les Seigneurs de la réalité, le Destructeur de l'illusion.

34. La connaissance discriminatoire du Soi conduit à écarter toutes dispositions autres, sachant qu'elles sont complètement étrangères à la nature du Soi ; par conséquent, en réalité, cette connaissance discriminatoire du Soi doit être connue comme la répulsion (pratyākhyāna).

35. De même qu'une personne rejette une chose qu'on lui a apportée comme étant sienne, quand elle réalise, par certaines marques, que cette chose appartient à un autre, de même, le sage écarte toutes les dispositions autres, car elles lui sont étrangères.

36. Je suis unique, dans la mesure où je suis de la nature de l'upayoga ; de ce fait, aucune illusion, quelle qu'elle soit, n'est en rapport avec moi. Celui qui pense comme cela, les connaisseurs du vrai Soi l'appellent : quelqu'un exempt d'illusion.

37. Je suis unique, dans la mesure où je suis de la nature de l'upayoga. De ce fait, le dharma, etc. n'ont pas de rapport avec moi. Celui qui pense comme cela, les connaisseurs du vrai Soi l'appellent : quelqu'un sans rapport avec le dharma, etc.

38. Absolument pur, ayant la nature de la perception et de la connaissance, toujours non-corporel, Je suis vraiment unique. De ce fait, même pas un atome de choses étrangères, quelles qu'elles soient, n'a de rapport avec moi comme mien.

Chapitre 2
L'ajīva ou le sans âme

39. Certains ignorants, soutenant que le Soi n'est que le non-Soi, ne connaissent pas la vraie nature du Soi. Ils affirment que le Soi est identique aux états psychiques, comme le désir, etc. De la même manière, d'autres assurent que le Soi est identique à la matière karmique.

40. D'autres croient que la puissance psychique, qui détermine l'intensité ou la douceur de la conscience, c'est l'âme. D'autres encore identifient l'âme à la matière non-karmique qui forme les éléments constitutifs des différentes sortes de corps organiques.

41. Certains considèrent la manifestation du karma (engendrant le plaisir ou la souffrance) comme étant le Soi ; certains autres croient que ce qui détermine l'intensité ou la douceur de l'état hédoniste (qui est le fruit du karma) c'est le Soi.

42. Certains autres affirment que le Soi c'est le jīva et le karma pris distinctement ou ensemble ; encore d'autres considèrent le Soi comme le produit de la combinaison des différents karmas.

43. Ainsi, de diverses manières, des gens à l'esprit tordu identifient le Soi au non-Soi ; de ce fait, ils sont déclarés, par ceux qui croient à la réalité, être non parātmavādins (ceux qui ne croient pas à l'identité du jīva et du paramātmā).

44. Il est dit par le Jina, celui qui connaît tout, que les diverses caractéristiques citées ci-dessus sont toutes le résultat de la manifestation de la matière karmique. Comment peuvent-elles donc être attribués au Soi pur ?

45. Les Jinas déclarent que les huit sortes de karmas sont de nature matérielle ; et aussi la souffrance, qui est l'effet de la fructification karmique, est dite matérielle.

46. C'est seulement du point de vue vyavahāra que ces différents états psychiques sont déclarés, par les Jinas, comme étant de la nature du Soi.

47. A la vue d'un défilé militaire, on peut s'exclamer « Le roi s'est mis en route ». Cette affirmation est faite du point de vue vyavahāra parce que, dans tout le défilé, une seule personne est le roi.

48. De la même façon, du point de vue vyavahāra, les différents états psychiques, tels que le désir, l'aversion, etc. peuvent être qualifiés d'ego. Mais, le vrai Soi n'est aucun de ces états, il reste le substratum unitaire dont ils sont les modifications empiriques.

49. Sachez que le Soi pur est sans goût, sans couleur, sans odeur, imperceptible au toucher, sans son, ni objet de connaissance anumāna ou déductive, sans aucune forme corporelle définie, et qu'il se caractérise par la conscience (cetanā).

50. Dans l'âme (pure), il n'y a ni couleur, ni odeur, ni goût, ni toucher, ni forme visible, ni corps, ni forme corporelle, ni structure squelettique.

51. Dans l'âme (pure) il n'y a ni désir, ni aversion. On ne trouve pas d'illusion en elle. Il n'y a pas de condition karmique, ni de matière karmique, ni de matière non-karmique en elle.

52. Dans l'âme (pure) il n'y a ni puissance atomique (varga), ni molécules ou groupes d'atomes (varganās), ni agrégats de molécules (spardhakas). Il n'y a ni ego-conscience de différents types, ni manifestations karmiques (entraînant l'expérience du plaisir ou de la douleur).

53. Dans l'âme (pure) il n'y a pas d'activité (yoga) de la pensée (manas), de la parole (vacana) et du corps (kāya), pas d'asservissement karmique, pas de manifestation agissante du karma et pas de variations, suivant la méthode d'enquête, de la nature de l'âme (basées sur le principe de classification).

54. Dans l'âme (pure) il n'y a pas d'étape de durée d'asservissement, ou d'excitation émotionnelle ou de purification de soi ou d'acquisition de contrôle de soi.

55. La classification des êtres organiques (selon le principe du développement biologique) et la classification de l'homme (selon le principe du développement éthiquo-spirituel) ne sont pas applicables à l'âme pure, car toutes les différences sus–mentionnées sont le résultat de la manifestation de conditions matérielles.

56. Les caractéristiques, commençant par la couleur (varna) et finissant par les étapes du développement spirituel (gunasthānas), sont attribuées à l'âme du point de vue vyavahāra ; mais, du point de vue de la réalité, aucune d'elles ne peut être attribuée à l'âme.

57. L'association des ces caractéristiques à l'âme doit être comprise comme le mélange du lait et de l'eau. Elles ne sont, de façon certaine, pas présentes dans l'âme, puisqu'elle est essentiellement caractérisée par l'upayoga (l'activité de la connaissance et de la perception).

58. Voyant quelqu'un volé sur un chemin, les gens ordinaires, adoptant le point de vue vyavahāra, disent « ce chemin est volé » mais, en réalité, ce qui est volé ce n'est pas le chemin.

59. De même, voyant la couleur qui appartient aux entités matérielles du karma et du non-karma associées au jīva, le Jina omniscient la décrit, du point de vue vyavahāra, comme la qualité de l'âme.

60. Ainsi sont l'odeur, le goût, le toucher, la forme, etc. attribués (à l'âme), du point de vue vyavahāra, par l'Omniscient. Pourquoi il n'y a pas d'identité intrinsèque entre jīva et varna, l'âme et la couleur, est expliqué ensuite.

61. Aussi longtemps que les jīvas ont une existence corporelle dans le monde du samsāra, les qualités de couleur, etc. sont présentes en eux. Au moment où ils se libèrent de l'asservissement du samsāra, les qualités telles que la couleur, etc. n'ont absolument plus de rapport avec eux.

62. Si vous soutenez que tous ces modes appartiennent à l'âme elle-même, alors, d'après vous, il n'y aurait pas de différence entre l'âme et le sans-âme.

63. Si, comme vous le soutenez, les samsārī-jīvas, les egos empiriques, sont identiques aux caractéristiques de couleur, etc. ces âmes empiriques seraient alors dotées de formes physiques.

64. Si, d'après ta philosophie, Oh ! Toi, l'induit en erreur !, l'âme a une forme physique, alors c'est la matière qui prend la forme du jīva dans le samsāra et c'est encore la même matière qui figure dans le nirvāna, l'état de libération de l'âme.

65. Les êtres vivants avec un, deux, trois, quatre et cinq sens, gros et pleinement développés, et leurs opposés (minces et non-développés), sont tous déterminés par la nature du karma qui fait le corps (nāma karma).

66. Ces divers êtres vivants sont le résultat de la matière karmique qui constitue leur cause opérante. Comment ces produits physiques peuvent-ils être identifiés à l'âme ?

67. Complètement développé, incomplètement développé, mince ou gros, toutes ces modifications, appartenant seulement au corps, ont reçu l'appellation de jīva dans l'Écriture, du point de vue vyavahāra.

68. Les étapes du progrès spirituel sont dites dues aux karmas qui trompent (mohanīya) lesquels sont, de façon permanente, non-intelligents (acetana). Comment peuvent-ils être identifiés à l'âme ?

Chapitre 3
Kartā et karma – L'acteur et l'action

69. Aussi longtemps que l'âme (jīva) ne reconnaîtra pas que les entités, ātmā et āshrava - le Soi et l'afflux karmique - sont absolument différents l'un de l'autre, elle restera dénuée de connaissance et elle s'identifiera aux très basses émotions de la colère, etc.

70. Le jīva qui se permet ainsi la colère, etc. aura seulement un afflux accru de karma et finalement aboutira à l'asservissement karmique. Cela a été vraiment déclaré par l'Omniscient.

71. Dès que la différence absolue entre l'ātmā et l'āshrava est reconnue par le jīva l'asservissement cesse d'être.

72. Sachant que les āshravas sont impurs, de nature contraire au Soi, et la cause de la souffrance, l'âme s'en abstient.

73. Je suis vraiment un, pur, sans le sens de la propriété ou du « c'est mien » et rempli de connaissance et de perception complètes. Restant fermement dans la vraie conscience d'un tel Soi, je conduirai tous les āshravas, tels que la colère, etc. à la destruction.

74. Sachant que, liés comme ils le sont à l'âme, ils sont non-permanents, évanescents, non-protégés, souffrance dans leur nature et aussi par leurs fruits dans le futur, le Soi s'en abstient.

75. Le Soi ne produit aucune modification dans la matière karmique et non plus dans la matière non-karmique. Celui qui comprend cela est le vrai Connaisseur.

76. Les karmas matériels sont de diverses sortes. Dans le processus de leur connaissance, le Connaisseur ne se manifeste pas en eux, ne s'identifie pas à eux et ne provoque pas l'apparition de modifications de substance étrangère.

77. Les modifications dans le Soi (comme résultat de l'influence karmique) sont de diverses sortes. Dans le processus de leur connaissance, le Connaisseur ne se manifeste pas en elles, ne s'identifie pas à elles et ne provoque pas l'apparition de modifications d'une substance étrangère.

78. Les fruits (plaisants et déplaisants) des matières karmiques sont réellement infinis. Dans le processus de leur connaissance, le Connaisseur ne se manifeste pas en eux, n'est pas identifié avec eux et ne provoque pas l'apparition de modifications de substance étrangère.

79. De la même manière, la matière se manifeste aussi dans des modifications matérielles caractéristiques. En réalité, elle ne se manifeste pas en elles, elle n'est pas identique à elles et elle ne provoque pas l'apparition de modifications dans (le jīva) d'une substance de nature étrangère.

80. Conditionnées par les modifications du jīva, les particules matérielles se modifient en karmas. De même, conditionné par les matières karmiques, le jīva subit des modifications.

81. Le jīva ne produit pas de changements dans les qualités des karmas, ni les karmas dans les qualités du jīva. Les modifications de ces deux, sachez-le, sont le résultat de l'un conditionnant l'autre comme cause instrumentale (nimitta kārana).

82. Pour cette vraie raison, le Soi est la cause substantielle de ses propres modifications (à la fois pures et impures) mais ce n'est la cause substantielle d'aucune des modifications de la matière karmique.

83. Ainsi, du point de vue réel, le Soi produit seulement son propre Soi. Sachez encore que le Soi jouit de son propre Soi.

84. Mais, du point de vue vyavahāra, le Soi produit différentes sortes de modifications karmiques dans la matière. De même, le Soi bénéficie des différents fruits des matières karmiques.

85. Si l'Ātmā (le Soi) produit ces matières karmiques en opérant comme cause substantielle (upādāna kartā) et jouit de leurs conséquences, de la même manière, cela conduit à la doctrine d'une seule cause qui produit différents effets, doctrine qui entre en conflit avec la foi jaïne.

86. Parce qu'ils affirment que les modifications du Soi, de même que celles de la matière, sont les effets du même identique Ātmā ou Soi (opérant comme cause upādāna), ceux qui croient à cette doctrine de causalité (qui provient des effets en conflit de la même source) sont dits avoir une foi erronée.

87. La foi erronée est de deux sortes. L'une concerne le jīva ou le Soi et l'autre l'ajīva ou le sans âme. De même, les modes suivants sont aussi de deux sortes : l'ignorance, la non-discipline, le yoga (de la pensée, de la parole et de l'action), l'illusion, la colère, etc.

88. Etant de la nature de la matière karmique, la foi erronée, le yoga (de la pensée, de la parole et de l'action), le manque de discipline et l'ignorance appartiennent à l'ajīva - au non–âme. Étant de la nature du Soi (upayoga), l'ignorance, le manque de discipline, la foi erronée appartiennent à l'âme.

89. Le Soi de la nature de l'upayoga (pensée et perception pures) associé à l'illusion, depuis une éternité sans commencement, subit trois sortes de modifications différentes qui le corrompent. Qu'il soit compris que ces trois modifications sont la foi, la connaissance et la conduite mauvaises.

90. Le Soi de la nature de l'upayoga, en lui-même pur et sans défaut, lorsqu'il est influencé par ces trois formes différentes de matières karmiques, opérant comme cause nimitta, subit en conséquence trois modifications impures différentes par lesquelles, dans une forme impure, il apparaît comme upādāna (ou cause substantielle).

91. Quelles que soient les modifications impures que le Soi engendre (en abandonnant sa propre nature pure), par ces modifications il devient le kartā ou l'agent. Ces modifications psychiques impures, agissant comme cause instrumentale, la matière engendre de son propre gré les modifications karmiques correspondantes.

92. Le Soi ignorant, qui fait le non-soi Soi et le Soi non-soi, devient le kartā ou l'agent causal des divers karmas.

93. Le Soi intelligent, qui ne fait pas le non-soi le Soi et le Soi le non-soi, ne devient pas le kartā ou l'agent causal des divers karmas.

94. Ainsi, le Soi dont la nature est upayoga, se manifestant (conditionné par les pratyayas karmiques correspondantes) dans trois formes impures différentes (de la foi fausse, de la connaissance fausse et de la conduite fausse), produit la fausse identité du Soi avec des émotions impures, telle que « Je suis en colère ». Il devient l'upādāna kartā ou l'agent causal des expériences impures de cet ego empirique.

95. Ainsi, le Soi dont la nature est upayoga se manifestant (conditionné par les pratyayas karmiques correspondantes) dans trois formes impures différentes (de la foi fausse, de la connaissance fausse et de la conduite fausse), produit la fausse identité du Soi avec des objets extérieurs, telle que « Je suis dharmāstikāyak (principe du mouvement) ». Il devient l'upādāna kartā ou l'agent causal des expériences impures de cet ego empirique.

96. Ainsi, une personne de faible intelligence (bahir ātman) prend des choses autres pour le Soi et par une véritable ignorance prend aussi le Soi pour des choses autres.

97. Le Soi, du fait de l'ignorance, apparaît comme l'agent des divers karmas. C'est ainsi déclaré par ceux qui connaissent la réalité. Quiconque comprend cette vérité abandonne toute agence causale (relative à d'autres choses).

98. Du point de vue vyavahāra, le Soi construit des objets externes comme un pot, un vêtement et un char. De la même manière, il construit en lui-même les divers types d'organes des sens, les matières karmiques et les matières non-karmiques (qui font le corps).

99. Si le Soi était en réalité le producteur (comme upādāna kartā ou cause substantielle) de ces autres substances, il devrait être alors de la même nature ; comme il ne l'est pas, il ne peut pas être leur auteur.

100. Le Soi, même comme cause instrumentale (nimitta kartā) ne fait pas directement un pot, un vêtement ou d'autres choses ; ils sont produits par le yoga et l'upayoga opérant comme la cause instrumentale (nimitta kartā) dont il est la cause.

101. Les modifications matérielles qui deviennent le karma qui obscurcit la connaissance (jñānā-varana karma), le Soi ne les fait pas. Celui qui sait cela est le Connaisseur.

102. De toute disposition psychique, bonne ou mauvaise, que le Soi produit il en est vraiment la cause (substantielle). Cette disposition devient son karma ou action et le Soi jouit de ses fruits.

103. Quelle que soit la qualité essentielle d'une substance particulière, elle ne peut pas être transférée à une autre substance de nature différente. Ainsi, n'étant pas transférable, comment la qualité d'une substance se manifeste t'elle comme la qualité d'une autre substance ?

104. Le Soi n'influence pas la substance ou les qualités du karma qui sont de nature matérielle. Ainsi, étant incapable d'influencer ces deux aspects des karmas, comment peut-il être leur agent causal substantiel (upādāna kartā) ?

105. Quand on a compris que, alors que le Soi reste comme le terrain, la modification de l'asservissement karmique apparaît (comme conséquence), on dit, de façon figurée, que les karmas sont produits par le Soi.

106. Lorsqu'une guerre est faite par des guerriers, les gens ordinaires disent, du point de vue pratique, que le roi est engagé dans une guerre. De même, on dit que le jñānāvaranīya karma, etc., est produit par le jīva (le Soi).

107. On dit, du point de vue pratique, que le Soi produit, forme, agglutine, modifie et assimile la matière karmique.

108. De même, lorsqu'on dit, du point de vue pratique, qu'un roi est le producteur du vice ou de la vertu (dans ses sujets), de même aussi, du point de vue pratique, on dit que le Soi est le producteur de la matière karmique et de ses propriétés.

109. Les états karmiques généraux (pratyayas) sont à l'origine au nombre de quatre. On dit que ce sont les agents immédiats de l'apport de l'asservissement karmique. On doit comprendre qu'il s'agit de la foi fausse, du manque de discipline, des grosses émotions et du yoga ou de la structure psycho-physique conditionnant la pensée, la parole et l'action.

110. Treize subdivisions de ces pratyayas, de niveau secondaire, (basées sur les āshravas) sont mentionnées. Ce sont les divers gunasthānas (étapes du progrès spirituel) commençant par le mauvais connaisseur (mithyādristi) et finissant par l'être parfait (sayogi kevali) avec encore le yoga ou la structure psycho-physique conditionnant l'exercice de sa pensée, de sa parole et de son action.

111. Ces étapes, apportées par les états subsidiaires (uttara pratyayas), sont vraiment non-conscientes (acetana), parce qu'elles sont dues à la manifestation des karmas matériels ; si elles sont vraiment les conditions causales immédiates produisant les karmas, le Soi ne peut pas alors jouir de leurs fruits.

112. Comme ces étapes, appelées les gunasthānas, produisent les karmas, le Soi n'en est pas l'auteur. Ce sont seulement les étapes, appelées gunasthānas, qui produisent les karmas.

113. Si la colère n'est pas différente du Soi, comme upayoga, alors elle doit engendrer l'identité du Soi avec le non-soi.

114. Si les pratyayas ou les états karmiques, les karmas (les modifications karmiques) et les non-karmas (les particules qui édifient le corps) sont identiques au Soi (sous une forme non qualifiée) cela conduit à la conclusion fausse que tout ce qui est Soi est en réalité non-soi.

115. Et si vous convenez que la colère est une chose et que le Soi conscient est une chose totalement différente, alors comme la colère, les pratyayas (les états), les karmas (les modifications karmiques) et les non-karmas (les particules qui édifient le corps) doivent être aussi admis comme différents (du Soi conscient).

116. Si la matière, sous forme de karmas, n'est pas de son plein gré attachée au Soi, ni si elle n'évolue pas d'elle-même en modes de karma, elle devient alors immuable.

117. Si les molécules karmiques primaires ne se transforment pas en divers modes karmiques (associés au jīva), cela conduit alors à la non-existence du samsāra dans le cas du système Sāmkhya.

118. Si vous affirmez que c'est le Soi qui transforme les molécules primaires karmiques en divers modes karmiques, comment est-il alors possible au Soi, qui est une entité cetana, de causer la transformation d'une chose qui est par nature non-transformable ?

119. Il s'en suit alors que la matière se transforme d'elle-même en différents modes de karmas. En conséquence, il est faux d'affirmer que le jīva provoque cette transformation en modes karmiques.

120. Les molécules karmiques primaires, qui se transforment en différents modes karmiques, sont en réalité matérielles par nature. Sachez alors que les modifications karmiques, telles que les karmas qui obscurcissent la connaissance (jñānāvaranīya karmas), etc. sont aussi de nature semblable.

121. Si, d'après votre vue, le Soi n'est pas par lui-même asservi par les karmas et n'a pas de modifications émotionnelles, comme la colère, etc. il doit alors rester par nature sans manifestation.

122. Si le Soi ne subit pas à son gré de modifications émotionnelles, telles que la colère, etc. alors la vie empirique ou samsāra cesserait d'être. Cela aurait lieu du point de vue Samkhya.

123. Si vous affirmez que c'est la matière karmique qui, par son propre pouvoir, cause des modifications émotionnelles dans le Soi, telles que la colère, etc. alors comment est-il possible pour la matière de produire une modification dans le Soi qui est par nature incapable de manifestation ?

124. Si vous croyez que le Soi, sans aucune influence extérieure, subit des modifications émotionnelles, telles que la colère, etc. alors, Oh, disciple ! votre affirmation, selon laquelle la matière karmique de la colère produit dans le Soi l'émotion de la colère, devient fausse.

125. Le Soi, en association avec l'état matériel karmique de la colère a l'émotion de la colère, de l'orgueil l'émotion de l'orgueil, de la tromperie l'émotion de la tromperie, de la cupidité l'émotion de la cupidité.

126. Dans n'importe quel mode que le Soi se manifeste, il est l'agent substantiel (upādāna kartā) de ce mode. Si l'agent qui se manifeste est le Soi avec la connaissance juste, le mode correspondant sera de même nature, par exemple, la connaissance juste. Si le Soi qui se manifeste a la connaissance fausse, le mode correspondant sera, dans ce cas, la connaissance fausse.

127. Le Soi ignorant sa vraie nature se manifeste sous la forme de connaissance fausse et par cette connaissance fausse fait des karmas. Mais, le Soi conscient de sa vraie nature a la manifestation de la connaissance juste et, du fait de cette connaissance juste, ne fait aucun karma.

128. Si la connaissance juste seule peut produire le mode ou la disposition de la connaissance juste, il s'en suit alors que chaque manifestation du Soi connaissant sa vraie nature doit être de la nature de la connaissance juste.

129. Si la connaissance fausse seule peut produire le mode ou la nature de la connaissance fausse, il s'en suit que chaque manifestation du Soi ignorant sa vraie nature doit être de la nature de la connaissance fausse.

130 et 131. De l'or seul, les ornements en or, comme les pendants d'oreilles, etc. peuvent être produits, et du fer seul, les chaînes en fer, etc. peuvent être produites. De la même manière, toutes les modifications du Soi qui connaît doivent être de la nature de la connaissance juste, tandis que les différentes modifications du Soi ignorant de sa vraie nature devraient être de la nature de la connaissance fausse.

132 à 136. Sachez que, s'il y a dans le Soi la connaissance de choses qui ne sont pas réelles, c'est dû à l'opération de l'ignorance (des matières karmiques interférant avec la connaissance juste) ; l'absence de croyance aux réalités est due à l'opération du mithyātva karma ; l'activité cognitive impure du Soi est due à la montée des kasāya karmas (qui souillent l'âme), l'indiscipline du Soi est due à la montée du karma qui pervertit la conduite ; la tendance à agir par la pensée, la parole et l'action est due à l'essor du yoga (ou de la structure psycho-physique). Sachez que tout ce qui doit être fait est bon et que tout ce qui doit être évité est mauvais. Ainsi, conditionné par les matières karmiques primaires, les huit sortes de dispositions psychiques karmiques sont produites, telles que jñānavaranīya (qui obscurcit la connaissance). Et alors, quand les huit sortes de matières karmiques agglutinées au Soi commencent à opérer, il se produit en lui les dispositions psychiques correspondantes dont il est l'agent causal.

137 et 138. Si l'attachement et les autres émotions sont réellement produits par le Soi et les karmas co-opérant ensemble comme conditions causales upādāna, alors les deux, le Soi et la matière karmique, sont capables d'apparaître sous la forme du mode psychique de l'attachement. Si le Soi se manifestant de lui-même est capable de produire l'attachement et les autres modifications psychiques, alors il doit s'en suivre que, même le Soi pur, sans l'influence des matières karmiques, doit être capable de se manifester dans des formes impures de modes psychiques, telles que l'attachement.

139 et 140. Si les modes dravya karmiques sont réellement produits par la matière, en co-opération avec le jīva comme condition upādāna, alors la matière et le Soi deviennent tous deux dravya karmas (matière). Si la matière, se manifestant par elle-même, est capable de produire des modes karmiques sans l'influence du Soi, alors toute matière, en tant que telle, doit être capable de se manifester comme modes karmiques.

141. Du point de vue vyavahāra, on dit que les karmas se lient au Soi au contact avec lui ; mais, du point de vue pur (absolu), les karmas ne se lient pas et ne sont pas en contact avec le Soi. Ainsi, des différents points de vue, on dit que le Soi est soit asservi, soit libre, suivant qu'il est associé aux upādhis ou qu'il en est exempt.

142. Que le Soi est asservi par les karmas ou qu'il ne le soit pas sont des affirmations faites de points de vue différents. Mais, l'essence du Soi transcende ces aspects ; c'est dit ainsi.

143. C'est le Soi, dont l'attention est intérieurement dirigée sur lui-même, qui connaît réellement les deux natures, pure et impure, qui sont décrites par les deux points de vue (réel et pratique). Mais, le Soi transcendantal, qui est au-delà de ces points de vue, ne les connaît pas.

144. Que le Soi est réellement caractérisé par la perception juste et la connaissance juste est une assertion (faite par ceux qui adoptent les différents points de vue) et il est dit que ce qui transcende tous les points de vue c'est le Soi pur dans son essence (samayasāra).

Chapitre 4
Unya et pāpa – La vertu et le vice

145. Sachez que le karma qui provoque la conduite fausse est mauvais et que celui qui provoque la conduite juste est bon. Comment peut être cette conduite juste qui pousse le jīva dans le cycle des naissances et des morts ?

146. Un lien en or est aussi bon qu'un lien en fer, pour enchaîner un homme. De même, le karma, qu'il soit bon ou mauvais, asservit également le jīva.

147. Par conséquent, n'ayez pas d'attachement ou d'association avec les karmas indésirables, qu'ils soient bons ou mauvais ; par l'attachement ou l'association aux karmas indésirables la destruction sera inévitable.

148 et 149. De même qu'une personne connaissant certains individus ayant un mauvais caractère abandonne leur association ou leur attachement, de même, ceux qui désirent réaliser le Soi pur, sachant que la nature et le caractère des prakriatīs karmiques sont mauvais, évitent l'approche des particules karmiques (samvara) et extirpent celles existant déjà (nirjarā).

150. Le Soi avec de l'attachement devient asservi par les karmas, mais celui avec du détachement reste exempt des karmas. C'est ce qu'a déclaré le Jina. Par conséquent, évitez l'attraction des karmas.

151. En vérité, le Réel suprême, le Soi Pur, l'Omniscient, le Seigneur et le Connaisseur (tous signifient le Paramātmā). Ainsi, en fixant leur méditation sur le Soi Pur, les Rishis (les Sages) atteignent le nirvāna.

152. Si l'on fait des austérités (tapas) ou si l'on observe des vœux (vratas) sans fixer sa méditation sur le Soi Suprême, celui qui connaît tout appelle cela l'austérité puérile (bālatapa) et le vœu puéril (bālavrata).

153. Ceux qui sont en dehors de la présence du Paramāttha ou du Soi Suprême, même s'ils observent des vœux, des contrôles sévères, des règles de conduite, et s'ils pratiquent des austérités, sont dépourvus de connaissance juste.

154. Ceux qui sont en dehors de la présence du Paramāttha ou du Soi Suprême, par leur ignorance, ne sachant pas que la vertu conduit au samsāra, désirent la même chose avec la croyance qu'elle les conduira au moksha.

155. La croyance dans les padārthas, tels que l'âme, etc. c'est la foi juste, la connaissance de leur vraie nature c'est la connaissance juste, le déracinement de l'attachement, etc. c'est la conduite juste. Ensemble, elles constituent la voie du moksha.

156. Puisqu'il est déclaré que le destruction des karmas n'est possible qu'aux yatis qui adoptent le point de vue absolu, les sages ne suivront pas la voie pratique (vyavhāramārga), laissant de côté la voie absolue (nishcaya- mārga).

157. De même que la blancheur d'une étoffe est détruite en étant couverte par de la boue, de même on doit savoir que la foi juste est détruite par la foi fausse.

158. De même que la blancheur d'une étoffe est détruite en étant couverte par de la boue, de même on doit savoir que la connaissance juste est détruite lorsqu'elle est voilée par l'ignorance.

159. De même que la blancheur d'une étoffe est détruite en étant couverte par de la boue, de même on doit savoir que la conduite juste devient altérée quand elle est viciée par les passions qui souillent l'âme.

160. Le Soi qui, par nature, connaît et perçoit tout, lorsqu'il est souillé par ses propres karmas est entraîné vers le samsāra, le cycle des naissances et des morts, et devient incapable de connaître toutes choses complètement.

161. Il est déclaré par le Jina que le mithyātva karma est opposé à la foi juste ; quand il commence à agir, le Soi devient un mauvais croyant ; aussi que cela soit connu !

162. Il est déclaré par le Jina que l'ignorance est opposée à la connaissance juste ; quand elle commence à agir, le Soi devient ajñāni (dénué de connaissance) ; aussi que cela soit connu !

163. Il est déclaré par le Jina que les grandes émotions qui souillent le corps (kashāyas) sont opposées à la conduite juste ; quand elles commencent à agir, le Soi devient dépourvu de conduite juste (acāritra) ; aussi que cela soit connu !

164. Les karmas dans le Soi empirique, tels que la croyance fausse, l'indiscipline, la grande émotion qui souille l'âme et la structure psycho-physique, avec leurs différentes sous-catégories, sont principalement de deux sortes : matériels (acetana ou dravya karmas) et psychiques (cetana ou bhāva karmas). Les modifications karmiques psychiques sont inséparables du Soi.

165. Les modifications psychiques impures causent les karmas matériels, tels que le jñānāvaranīya (qui obscurcit la connaissance), etc. Le Soi empirique, avec les caractéristiques de l'attachement et de l'aversion, est la cause de ces modifications psychiques karmiques.

166. Comme celui qui croit de façon juste bloque l'influence de l'afflux des karmas, il n'y a pas, chez lui, d'entrée des karmas, ni d'asservissement consécutif, par eux. Ainsi, restant exempt de nouvel asservissement karmique, il comprend que les karmas précédemment attachés sont différents du Soi.

167. Les états psychiques associés au désir, etc., qui sont les modifications du jīva, sont la cause de l'asservissement ; mais, quand il est complètement exempt de désir, etc. l'état psychique est de la nature de la connaissance pure, qui vraiment est la cause de la destruction des karmas.

168. De même qu'un fruit mûr tombé (d'un arbre) ne peut pas être de nouveau attaché à la tige, de même, lorsque les modifications karmiques psychiques du Soi se détachent, elles ne peuvent jamais plus asservir de nouveau le Soi, ni opérer.

169. Dans le Soi avec la connaissance juste, les vieux karmas restent incorporés seulement au corps karmique, comme une motte de terre sans aucun effet sur le Soi.

170 et 171. Les quatre états karmiques primaires, avec leurs subdivisions diverses, asservissent le Soi à chaque instant, car ils sont déterminés par les qualités impures adéquates de connaissance et de perception. Donc, le Soi avec la connaissance juste n'est pas asservi par eux.

172. Lorsque la qualité cognitive du Soi est à son niveau le plus bas, il est susceptible d'autres modifications étrangères, alternativement bonnes ou mauvaises. C'est pourquoi, dans chaque cas, le Soi est appelé le liant des karmas.

173 et 174. Lorsque la manifestation de la foi juste, de la connaissance juste et de la conduite juste est au plus bas, le Soi, le Connaisseur, est asservi par diverses sortes de (bonnes) matières karmiques. De même que, pour une personne, sa femme-enfant n'est pas apte à lui donner du plaisir, mais lorsqu'elle est devenue mûre, elles est apte à la faire et à attirer son attention, de même, dans le cas de celui qui a la foi juste, tous les états d'asservissement karmique antérieurs, bien que présents, commencent seulement à opérer lorsqu'ils deviennent mûrs et produisent alors les états psychiques correspondants par lesquels ils asservissent le Soi.

175. Dans le cas d'une personne qui a la foi juste, les karmas antérieurement fixés, tels que le jñānāvaranīya, restent non efficients aussi longtemps qu'ils sont latents, mais, lorsqu'ils deviennent efficients et opérants, par le canal d'états psychiques, tels que l'attachement, ils asservissent le Soi de sept façons (à l'exclusion du karma de l'âge) ou de huit façons.

176. Dans le cas de celui qui a la foi juste, l'afflux karmique de l'état psychique opposé est absent. Quand il est absent, les conditions karmiques qui restent (puisque elles sont incapables de produire un asservissement conduisant au samsāra) sont déclarées non asservissantes. Pour ces raisons, celui qui a la foi juste est dit non-asservissant.

177. Dans le cas de celui qui a la foi juste à un très haut degré ou de type vitarāga, il n'y a pas d'afflux d'états psychiques liés au désir, à l'aversion et à l'illusion. En conséquence, à part l'afflux karmique psychique, les conditions karmiques matérielles ne peuvent pas produire d'asservissement.

178. Les quatre conditions karmiques primaires sont dites être la cause de huit karmas, comme le jñānāvaraniya. De ces conditions karmiques, les états psychiques, tels que le désir, etc. sont la cause. Lorsque ces états psychiques sont absents, les conditions matérielles karmiques ne peuvent pas asservir le Soi.

179 et 180. De même que la nourriture mangée par une personne, en association avec la chaleur gastrique (la fonction digestive et assimilatrice), est transformée en diverses sortes de chair, de graisse, de sang, etc. de même aussi, dans le cas du Soi, la précédente condition karmique fixée, (bien que de type matériel uniforme au début), est transformée en différentes modifications karmiques, au moment de l'asservissement. Cela est vrai dans le cas du Soi dépourvu du point de vue pur.

Chapitre 5
Le samvara - Le blocage de l'afflux karmique

181. Les qualités cognitives pures de la perception et de la connaissance reposent sur l'upayoga ou la nature intrinsèque du Soi pur. Les émotions impures, comme la colère, n'ont pas de relation quelconque avec l'upayoga. La colère tire sa subsistance de la colère elle-même. Assurément, il n'y a pas de colère dans les qualités cognitives pures de la perception et de la connaissance.

182. Il n'y a pas d'upayoga dans les huit sortes de karmas, ni dans les particules matérielles du non karma (qui construisent les diverses sortes de corps). Réciproquement, il n'y a ni karmas, ni non karmas, dans l'upayoga.

183. Lorsque la connaissance discriminatoire, exempte d'erreur, apparaît dans le Soi, la nature du Soi se manifeste alors sous la forme d'upayoga pur et ne cause aucune sorte d'états psychiques impurs.

184. De même que l'or, plus il est chauffé, ne perd jamais sa nature intrinsèque, de même le Soi qui a la connaissance juste, plus il est brûlé par les karmas associés, ne perd pas sa nature intrinsèque de connaissance pure.

185. Ainsi le Soi avec la connaissance discriminatoire connaît sa vraie nature. Mais, quelqu'un manquant de cette connaissance, aveuglé par sa propre ignorance, incapable de percevoir sa vraie nature, pense que le nature du Soi est identique aux états psychiques impurs, tels que l'attachement.

186. Le Soi avec la connaissance discriminatoire, qui contemple le Soi pur, devient lui-même pur. Mais, le Soi qui contemple la nature impure du Soi devient lui-même impur.

187, 188 et 189. Celui qui maîtrise ainsi, par son propre effort, le Soi qui est immergé dans l'activité, bonne ou mauvaise du yoga (de la pensée, de la parole ou de l'action), demeure dans la perception et la connaissance pures, n'a aucun désir quel qu'il soit pour des objets étrangers, et est exempt de tous les attachements, ce Soi contemple sa propre unité. Un tel Soi ne pense jamais que les karmas sont de la nature du Soi, ni les non karmas. Un tel Soi, qui a la connaissance juste, de la nature de la perception et de la connaissance entièrement différentes d'une autre nature, contemple son Soi pur et, très rapidement, devient identique au Soi pur, qui est exempt de tous les karmas.

190, 191 et 192. L'Omniscient a déclaré que les états psychiques, correspondant à la foi fausse, à la connaissance fausse, à l'indiscipline et à l'activité psycho-physique, sont les causes du karma tel que le jñānāvaranīya. Du fait des états psychiques liés à la perception pure, etc. les conditions karmiques sont absentes. Cette absence de conditions, chez quelqu'un qui a une connaissance discriminatoire, provoque le blocage de l'afflux psychique (bhāvāshrava). Si l'afflux psychique est bloqué, celui de l'afflux karmique (dravyāshrava) suit nécessairement. Lorsque il n'y a pas d'afflux de karmas matériels, l'afflux de matières non karmiques est aussi stoppé. Lorsque il n'y a pas d'afflux de matière non karmique qui construit le corps, le processus de construction du corps disparaît complètement, ce qui signifie la cessation du samsāra.

Chapitre 6
Le nirjarā – L'effacement des karmas

193. Toutes les expériences affectives que celui qui a la foi juste (avec une attitude neutre) éprouve en relation avec des objets perçus par les sens, consciemment ou inconsciemment, conduisent seulement à l'effacement des karmas (ou nirjarā).

194. Les objets utiles et agréables du monde perceptible, lorsqu'ils sont possédés par celui qui a la foi juste, produisent inévitablement du plaisir ou de la souffrance, comme déterminé par le bon ou le mauvais karma. Comme ces sentiments agréables ou pénibles sont expérimenté de façon indifférente par celui qui a la foi juste, ils s'usent eux-mêmes et c'est cela le nirjarā.

195. De même qu'une personne qui est experte en savoir anti-poison, même si elle prend du poison ne meurt pas, de même, quand les matières karmiques deviennent mûres et produisent leurs résultats inévitables de souffrance et de plaisir, le Soi qui sait avec une attitude neutre les expérience, mais il reste non asservi.

196. De même qu'une personne qui boit du vin (comme médicament), sans aucune envie de vin, ne devient pas ivre, de même, le Soi éclairé, lorsqu'il possède des objets du monde extérieur, sans aucune envie les concernant, ne devient pas asservi.

197. Quelqu'un, qui jouit actuellement, ne jouit pas réellement, alors qu'un autre, qui ne jouit pas, jouit réellement. De même, quelqu'un qui joue une pièce ne devient pas réellement le personnage.

198. Il a été déclaré par les grands Jinas que l'apparition et la fructification des karmas sont de diverses sortes. Mais, ils ne sont pas (liés à) ma nature pure. Je suis vraiment celui qui (ne varie pas), le Connaisseur par nature.

199. Le désir est de la matière karmique (fixée auparavant). Lorsqu'elle se manifeste après maturité, c'est l'émotion du désir. Cet état psychique n'est pas dans ma nature. Assurément, je suis le Connaisseur impassible.

200. Ainsi, celui qui a la foi juste avec une connaissance claire de la réalité, comprend que son propre Soi est de la nature du Connaisseur. Il rejette les états émotionnels, parce qu'ils sont le résultat de la manifestation de la matière karmique.

201. Assurément, celui chez qui l'attachement - même de l'étendue d'un atome - est présent, ne peut pas connaître le Soi, même si c'est un maître de toutes les Écritures.

202. Celui qui ne connaît pas le vrai Soi ne peut pas connaître le non-Soi. Ainsi, étant dénué de la connaissance du jīva et de l'ajīva, de l'âme et du sans-âme, comment peut-il être quelqu'un qui a la foi juste ?

203. L'abandon des états psychiques et physiques non permanents du Soi, qui sont dus aux dravya karmas et aux bhāva karmas respectivement, fait que l'on atteint l'état qui résulte de la réalisation de la vraie nature du Soi qui est éternel, immuable et unité indivisible.

204. La connaissance par la perception des sens, le connaissance par les Écritures, la connaissance par le clairvoyance, la connaissance par la télépathie et la connaissance suprême de la réalité - toutes se rapportent à un seul et même état. C'est l'absolu. La réalisation de cet absolu c'est la libération (moksha).

205. Ceux qui sont dépourvus de cette qualité de la connaissance, même si leurs efforts sont multiples, n'atteignent pas cet état. Si vous souhaitez une libération complète de l'asservissement, vous devez contempler cet état de connaissance pure.

206. Oh ! Bonne âme ! Vous détournant des plaisirs des sens et fixant toujours votre attention sur la nature pure du Soi, aimez-la toujours et ainsi soyez heureuse et satisfaite, car de façon certaine cela vous conduira au bonheur suprême éternel futur de la libération.

207. Comment l'homme sage, qui comprend que le Soi seul est la propriété du Soi, peut-il soutenir réellement que des objets étrangers, tels que son corps, sont véritablement sa propriété ?

208. Les choses externes que je possède, si elles sont absolument de ma nature, alors je dois devenir non-vivant (comme elles). Parce que je suis un Soi qui connaît, les objets que je possède ne sont pas de ma nature.

209. Il peut être coupé, il peut être fendu, il peut être traîné ou il peut être détruit, quelle que soit la manière de difformité qu'il subit, il (le corps ou n'importe quel objet externe) ne me concerne pas, car il n'est pas réellement mien.

210. La non-possession est dite être du non-attachement. Pour cette raison, le Connaisseur ne désire même pas du mérite. Ainsi, étant exempt d'attachement envers le mérite, il devient de ce fait simplement le Connaisseur (du mérite).

211. La non-possession est dite être du non-attachement. Pour cette raison, le Connaisseur ne désire pas le démérite. Ainsi, étant exempt d'attachement envers le démérite, il devient de ce fait simplement le Connaisseur (du démérite).

212. La non-possession est dite être du non-attachement. Pour cette raison, le Connaisseur ne désire pas de nourriture. Ainsi, étant exempt d'attachement envers la nourriture, il devient par cela simplement le Connaisseur (de la nourriture).

213. La non-possession est dite être du non-attachement. Pour cette raison, le Connaisseur ne désire pas de boisson. Ainsi, étant exempt d'attachement à la boisson, il devient par cela simplement le Connaisseur (de la boisson).

214. Le Connaisseur n'a pas de grande envie de tous ces états psychiques variés (tels que le désir et l'appétit pour des objets externes). Comme il est réellement de la nature du Connaisseur, il reste partout indépendant des influences étrangères.

215. Ainsi, le Connaisseur ayant toujours une attitude de renoncement vis à vis des objets agréables qui l'environnent et qui se produisent par l'opération des karmas, ne montre ni de désir pour les changements présents, ni d'envie pour les futurs.

216 et 217. Les activités psychiques qui correspondent à ce qui ressent et à ce qui est ressenti sont toutes les deux détruites, à chaque instant. Celui qui sait cela est le Connaisseur. Il n'a jamais envie d'elles. Les états psychiques conditionnés par le samsarā conduisent à l'asservissement, alors que ceux conditionnés par le corps conduisent au plaisir. En conséquence, chez le vrai Connaisseur aucun désir pour eux ne se produit.

218 et 219. De même que l'or, dans la saleté de la fange, demeure non contaminé, en raison de sa propriété non adhésive, de même l'éclairé, à cause de son complet non-attachement à l'environnement, reste non affecté, même lorsqu'il est immergé dans un nuage de karmas ; tandis que le non éclairé, à cause de son attachement aux objets externes, est affecté, lorsqu'il est dans la buée des karmas, exactement comme un morceau de fer est contaminé, lorsqu'il est plongé dans la boue, à cause de sa propriété adhésive.

220 et 221. La conque peut manger et assimiler diverses choses animées, inanimées et mixtes et cependant la couleur blanche de sa coquille ne peut pas être changée en noir par les choses assimilées. De la même façon, le Connaisseur éclairé peut jouir de divers objets animés, inanimés et mixtes et cependant la nature de sa connaissance ne peut pas être convertie en ignorance par les choses dont il jouit ainsi.

222 et 223. La même conque (quelque soit le fait qu'elle mange d'autres choses ou non) peut intrinsèquement changer de couleur, lorsque la coquille blanche sera changée en noir. De même, le Connaisseur éclairé (qui est resté non influencé par les choses dont il jouit) peut subir une détérioration en lui-même par laquelle il peut perdre sa nature de connaissance et en prendre une d'ignorance.

224 à 227. De même qu'une personne en ce monde, pour gagner sa vie, sert son roi et le roi lui donne, par le biais d'une rémunération, divers objets produisant du plaisir, de même le Soi, sous la forme d'une personnalité non éclairée, pour assurer ses plaisirs, se met au service des karmas et le karma-raja lui offre, en conséquence, des choses produisant du plaisir. Chaque fois que cette même personne ne sert pas le roi pour gagner sa vie, le roi ne lui donne pas divers objets produisant du plaisir par le biais d'une rémunération. De même, celui qui a la foi juste, par égard aux plaisirs des sens, ne s'adonne pas au service des karmas et, en conséquence, le karma ne lui donne pas divers objets comme source de plaisir.

228. Les âmes qui ont la foi juste sont exemptes de doute et, par conséquent, sont sans peur. Parce qu'elles sont exemptes des sept sortes de peur, elles sont exemptes de doute.

229. Celui qui coupe les quatre pieds (de la connaissance fausse, de l'indiscipline, des grosses émotions qui souillent l'âme, et de l'activité psycho-physique) qui produisent le karma, l'illusion et la souffrance, est celui à la connaissance juste, qui ne doute pas.

230. Celui qui ne manifeste pas de désir pour les plaisirs qui résultent des karmas ou pour toutes les qualités des choses, doit être compris comme étant quelqu'un à la foi juste, qui est exempt de désir.

231. Celui qui ne manifeste aucune horreur ou dégoût pour toutes les qualités repoussantes des choses est dit quelqu'un à la foi juste, sans aucune horreur.

232. Celui qui est complètement sans illusion sur la nature des choses est assurément compris comme étant celui à la foi juste, sans illusion.

233. Celui qui est rempli de dévotion pour le Siddha, et qui est indulgent de toute manière envers toutes sortes de défauts des autres, est considéré comme celui à la foi juste, pourvu de la qualité d'indulgence.

234. Celui qui, au lieu de s'égarer, reste fermement sur la voie de l'émancipation, doit être considéré comme celui à la foi juste, pourvu de fermeté.

235. Quiconque manifeste amour et dévotion pour les trois joyaux qui constituent la voie juste du moksha, cette personne est considérée comme celle à la foi juste, pourvue d'amour et de dévotion pour la vraie voie.

236. Le Soi qui, monté sur le char de la connaissance, va comme bon lui semble, répandant la lumière de la sagesse, doit être considéré comme quelqu'un à la foi juste, engagé à propager le foi Jaïne.

Chapitre 7
Bandha ou l'asservissement des karmas

237 à 241. Par exemple, un homme enduit avec de l'huile, se tenant en un endroit plein de poussière, fait des exercices avec une épée, coupe ou casse des arbres, tels que palmier, tamala, plantain, bambou, et ashoka et cause ainsi la destruction d'objets animés et inanimés. Dans le cas de cette personne, qui est engagée dans l'activité destructrice, en prenant diverses postures corporelles, quelle est la condition réelle qui fait que de la poussière se dépose sur elle ? Assurément, c'est l'huile dont son corps est enduit qui doit être considérée comme la cause réelle du dépôt de la poussière et non ses diverses activités corporelles. De la même manière, un mauvais croyant, engagé dans diverses activités, s'il réalise celles-ci seulement avec un sentiment d'attachement, est assurément couvert de poussière karmique.

242 à 246. D'un autre côté, une personne dont le corps est totalement exempt d'huile, se tenant dans un endroit plein de poussière, fait des exercices avec une épée, coupe ou casse des arbres, tels que palmier, tamala, plantain, bambou et ashoka et cause ainsi la destruction d'objets animés et inanimés. Dans le cas de cette personne, qui est engagée dans une activité destructrice, en prenant diverses postures corporelles, quelle est l'explication réelle de l'absence de dépôt de poussière sur elle ? Assurément c'est l'absence de surface huilée qui compte pour l'absence de dépôt de poussière sur sa personne et non ses diverses activités corporelles. De le même manière, quelqu'un qui a la foi juste, même s'il est engagé dans diverses activités de la pensée, de la parole et de l'action, s'il réalise celles-ci simplement sans sentiment d'attachement pour elles, n'est pas asservi par des particules karmiques.

247. Celui qui pense « Je tue d'autres êtres ou je suis tué par d'autres êtres » est quelqu'un qui se fait des illusions et qui est dénué de connaissance. Mais, celui qui pense autrement est le Connaisseur.

248. Il est déclaré par les Jinas que la mort des êtres vivants est causée par la disparition du karma qui détermine leur âge. Puisque tu ne détruis pas le karma déterminant leur âge, comment leur mort est-elle causée par toi ?

249. Il est déclaré par les Jinas que la mort des êtres vivants est causée par la disparition de leur karma déterminant l'âge. Puisqu'ils ne détruisent pas ton karma déterminant l'âge, comment ta mort peut-elle être causée par eux ?

250. Celui qui pense « Je vis (en tant que causé par d'autres êtres) et je suis la cause que d'autres vivent » est quelqu'un qui se fait des illusions, et qui est dénué de connaissance. Mais, quelqu'un qui pense autrement est le Connaisseur.

251. Les Omniscients affirment qu'un être organique vit à cause de l'opération du karma de son âge. Puisque tu ne donnes pas de karma de l'âge aux êtres vivants, comment leur vie peut-elle être causée par toi ?

252. Les Omniscients affirment qu'un être organique vit à cause de l'opération de son karma de l'âge. Puisqu'ils ne te donnent pas ton karma de l'âge, comment ta vie peut-elle être causée par eux ?

253. Celui qui pense « Je cause du bonheur ou du malheur aux autres êtres et je suis rendu heureux ou malheureux par d'autres » est quelqu'un qui se fait des illusions et qui est dénué de connaissance. Le Connaisseur pense autrement.

254. Si tous les êtres vivants deviennent malheureux ou heureux seulement quand leurs karmas commencent à opérer, puisque tu ne leur donnes pas leurs karmas, comment sont-ils rendus malheureux ou heureux par toi ?

255. Si tous les êtres vivants deviennent malheureux ou heureux seulement quand leurs karmas commencent à opérer, puisque ils ne te donnent pas leurs karmas, comment es-tu rendu malheureux par eux ?

256. Si tous les êtres vivants deviennent malheureux ou heureux seulement quand leurs karmas commencent à opérer, puisqu'ils ne te donnent pas tes karmas, comment es-tu rendu heureux par eux ?

257. On meurt ou on devient malheureux lorsque l'on est vivant ; tout cela arrive comme résultat de l'opération de ses propres karmas. Par conséquent « Il est tué par moi et il est rendu malheureux par moi ». Cette vue que vous avez n'est-elle pas entièrement fausse ?

258. On ne meurt pas ou on ne devient pas malheureux alors que l'on est vivant, c'est aussi assurément le résultat de l'opération de ses propres karmas. Par conséquent « Il n'est pas mort de mon fait et il n'est pas rendu malheureux par moi. Cette idée que vous avez n'est-elle pas entièrement fausse ?

259. Ta fausse notion sur toi « Je rends d'autres êtres malheureux ou heureux » est illusoire. Cela conduit à l'asservissement des karmas bons ou mauvais.

260. « Je rends d'autre êtres malheureux ou heureux ». Cette pensée que tu as cause un asservissement karmique de la nature du vice ou de la vertu.

261. « Je tue d'autres êtres ou je les fait vivre ». Cette pensée que tu as cause l'asservissement karmique de la nature du vice ou de la vertu.

262. La volonté de tuer suffit à entraîner l'asservissement, quel que soit le fait que des animaux soient tués ou non. Du point de vue réel, c'est en bref le mode d'asservissement des jīvas (ou des Sois empiriques).

263. Ainsi, la volonté de tuer, de mentir, de voler, de ne pas être chaste et d'acquérir de la propriété excessive conduit à la fixation de mauvais karmas.

264. Tandis que la volonté de ne pas tuer, de ne pas mentir, de ne pas voler, de ne pas manquer de respect de la chasteté et de ne pas acquérir de propriété excessive conduit à la fixation de bons karmas.

265. Un Soi empirique est toujours conditionné par un objet, dans le monde extérieur. Néanmoins, ce n'est pas cet objet extérieur qui est la cause de l'asservissement. C'est par la pensée que l'asservissement est causé.

266. «  Je rends des êtres vivants malheureux ou heureux ; je les attache ou je les libère ». Une telle pensée en vous n'a pas de sens. Assurément, elle est fausse.

267. Si leurs propres pensées sont la condition réelle par laquelle les âmes sont asservies par des karmas ou libérées d'eux en étant sur la voie du salut, alors pourquoi ne peux-tu pas y arriver ?

268. Le Soi, par sa propre activité de pensée, crée pour lui la forme des êtres sous-humains, démoniaques, célestes et humains et aussi diverses sortes de vertu et de vice.

269. De même, le Soi, par sa propre activité de la pensée, peut s'identifier aux catégories du dharma, de l'adharma, de l'âme, du sans-âme, de l'univers et de l'au-delà.

270. Les saints, chez qui ces activités de la pensée ne sont pas présentes, ne sont pas contaminés par les karmas, bons ou mauvais.

271. Buddhi (la compréhension), vyavasāya (la résolution), adhyavasāna (l'activité cognitive), mati (la pensée), vijñāna (la connaissance), citta (la conscience), bhāva (le mode conscient) et parināma (la modification consciente), tous ces mots ont le même sens.

272. Ainsi sachez que le point de vue pratique est contredit par le point de vue réel. C'est en adoptant le point de vue réel que les saints atteignent le nirvāna (la libération).

273. Les personnes incapables de libération spirituelle, même si elles observent vœux, attentions, restrictions, règles de conduite et pénitence, comme décrits par les Jinas, restent sans connaissance vraie et avec une foi fausse.

274. Un abhavya, quelqu'un inapte au salut spirituel, n'a pas de foi dans le moksha, bien que parfaitement versé dans toutes les Écritures ; une telle étude ne le dote pas de la connaissance juste ou de sa qualification, à cause de son manque de foi.

275. Sans doute, il a foi dans (une sorte de) dharma, il l'acquiert, il l'aime beaucoup et il le pratique, mais tout cela avec l'objet d'une jouissance future. Ce n'est assurément pas ce dharma qui conduit à la destruction des karmas.

276. Que l'on sache que la connaissance des Écritures, telles que l'Ācārānga, c'est la connaissance juste. (La foi dans les catégories) : les jīvas, etc. c'est la foi juste. (La protection) des six sortes d'organismes, c'est la conduite juste. Elles, c'est dit, constituent vyavahāra (mokshamārga), par exemple, du point de vue pratique (la voie du salut).

277. Tandis que le Soi est ma connaissance juste, le Soi est ma foi juste, le Soi encore est ma conduite juste. Le Soi c'est le renoncement, le Soi c'est l'arrêt des karmas et la méditation yogique. Ils constituent nishaya (mokshamārga), par exemple, du point de vue réel (la voie du salut).

278 et 279. De même qu'un morceau de cristal, lui-même pur et sans couleur, ne peut pas paraître de couleur rouge de son propre gré, mais en association avec un autre objet de couleur rouge. De la même façon, le Soi, lui-même pur, ne peut pas avoir d'activités émotionnelles, telles que l'attachement, etc. de son propre fait. Mais, lorsqu'il est influencé par des impuretés externes, il devient teinté par les émotions impures des attachements, etc.

280. Le Connaisseur, de son propre gré, ne produit pas en lui-même d'attachement, d'aversion, d'illusion et d'autres très grosses émotions. De ce fait, il n'est pas l'agent qui est la cause de ces états psychiques.

281. Lorsque les karmas matériels qui appartiennent à l'attachement, à l'aversion, et aux très grosses émotions, commencent à opérer, l'ego empirique commence à avoir les états psychiques correspondants. Les manifestations psychiques d'attachement, etc. dont il est l'agent causal produisent, à leur tour, un nouvel asservissement karmique.

282. L'ego empirique, qui se manifeste dans les états psychiques d'attachement, d'aversion et de très grosses émotions, et qui s'identifie à ces états, est asservi par la nouvelle matière karmique correspondante.

283. Le manque de repentir est de deux sortes et le non renoncement doit aussi être reconnu comme tel. Par cet enseignement, il est dit que le Soi de la nature de la conscience n'est pas leur agent causal.

284. Le manque de repentir est de deux sortes, physique et psychique et aussi le non-renoncement. Par cet enseignement, il est dit que le Soi de la nature de la conscience n'est pas leur agent causal.

285. Aussi longtemps que le Soi ne pratique pas le renoncement et le repentir, à la fois physiques et psychiques, on doit comprendre qu'il est l'agent causal des karmas.

286. Comment le Soi, le Connaisseur, peut-il causer les défauts dans les choses matérielles utilisées dans la préparation des repas, puisque ce sont les attributs d'objets externes ?

287. Même quand la nourriture est préparée par d'autres pour moi, les choses utilisées sont par nature matérielles. Comment ces défauts peuvent-ils être considérés comme causés par moi, quand ils appartiennent en réalité à des objets inanimés ?

Chapitre 8
Le moksha ou la libération

288 à 290. De même qu'une personne, qui a été enchaînée pendant longtemps, peut être curieuse de la nature de cet attachement (intense ou faible) et aussi de sa durée si longue qu'elle ne fait aucun effort pour briser ses chaînes, ne devient pas elle-même libre et peut rester ainsi pendant longtemps sans obtenir sa libération. De même, une personne avec un asservissement karmique, même si elle a connaissance de l'étendue, de la nature, de la durée et de la force de cet asservissement, ne devient pas libérée (par cette simple connaissance) mais devient libérée si elle est pure de cœur.

291. De même qu'en pensant simplement à l'asservissement, quelqu'un dans des chaînes ne devient pas libre, de même le Soi, en pensant simplement à l'asservissement karmique, n'atteint pas le moksha.

292. De même que celui qui est enchaîné ne se libère qu'en brisant ses chaînes, de même, le Soi atteint l'émancipation seulement en brisant l'asservissement karmique.

293. Quiconque a une connaissance claire de la nature de l'asservissement karmique et de la nature du Soi, ne devient pas attiré par l'asservissement. Cette personne obtient la libération des karmas.

294. Le Soi et l'asservissement se différencient par leurs traits intrinsèques et distinctifs ; en dehors de cela, ils se séparent par l'instrument de la sagesse discriminatoire.

295. Quand le Soi et l'asservissement, qui se différencient par leurs attributs intrinsèques et distinctifs sont ainsi séparés, alors en jetant au loin tout asservissement, le Soi pur doit être réalisé.

296. Comment le Soi est-il réalisé ? Le Soi est réalisé par la sagesse discriminatoire. De même qu'il est séparé par la sagesse discriminatoire, de même il est réalisé par exactement la même sagesse discriminatoire.

297. Ce pur être conscient, qui est appréhendé par la sagesse discriminatoire est en réalité le « Je ». Tous les états mentaux qui sont en plus sont connus comme étant autres que « miens ».

298. Ce seigneur qui est appréhendé par la sagesse discriminatoire est en réalité le « Je ». Tous les autres états mentaux qui restent sont connus comme étant autres que « miens ».

299. Ce Connaisseur qui est appréhendé par la sagesse discriminatoire est en réalité le « Je ». Les autres états mentaux qui sont en plus sont tous connus comme étant autres que « miens ».

300. Quel homme sage, connaissant la nature du Soi pur, et comprenant tous les états mentaux causés par des conditions étrangères, dirait les mots «Ils sont miens ? »

301. Celui qui commet des crimes, tels que le vol, lorsqu'il se meut dans la foule est troublé par l'anxiété et la peur « Je peux être arrêté, à tout moment, comme voleur ».

302. Mais, celui qui ne commet pas un tel crime se meut dans la foule librement, sans aucune anxiété. Parce que, dans son cas, aucune pensée d'arrestation ne se produit jamais.

303. De même, le Soi qui est en faute a toujours peur « Je peux être asservi ». Alors que, sans faute, le Soi ressent « Je suis sans peur et donc je ne peux pas être asservi ».

304. Samsiddhi (la réalisation), rādha (la dévotion au Soi), sidhi (l'accomplissement), sādbitam (l'accomplissement), āradhitam (l'adoration), sont synonymes. Lorsque l'âme est sans dévotion au Soi pur, elle est alors assurément coupable.

305. Quand l'âme est exempte de faute, elle est aussi exempte de peur. Ainsi, réalisant l'ego, elle est toujours engagée dans l'adoration du Soi.

306. Pratikramana (le repentir de la mauvaise conduite passée), pratisaranam (la poursuite du bien), parihāra (le rejet du mal), dharanā (la concentration), nivritti (l'abstention d'attachement aux objets externes) nindā (l'auto-censure), garhā (la confession devant le maître) et shuddhi (la purification par l'expiation), ces huit éléments constituent le pot de nectar (poison dans le texte).

307. Le non repentir pour la mauvaise conduite passée, la non poursuite du bien, le non rejet du mal, la non concentration, la non abstinence d'attachement aux objets externes, la non auto-censure, la non confession devant le maître et la non purification par l'expiation, ces huit éléments constituent le pot de poison (nectar dans le texte).

Chapitre 9
La connaissance toute pure

308. Tout ce qui est produit d'une substance a les mêmes attributs que ceux de la substances. Sachez-le : assurément, ils ne peuvent pas être différents, de même que des bracelets, etc. en or ne peuvent pas être autres qu'en or.

309. Quelles que soient les modifications du Soi et du non-Soi, décrites dans les Écritures, sachez-le : ces modifications sont identiques en nature au Soi et au non Soi respectivement et non différentes.

310. Le Soi n'est pas un effet, parce qu'il n'est pas produit par quelque chose d'autre, et n'est pas une cause, parce qu'il ne produit rien d'autre.

311. L'effet manifesté conditionne la nature de l'agent qui se manifeste ; de même, l'agent qui se manifeste détermine la nature des effets. C'est le principe de causalité que l'on observe opérer dans le monde de la réalité et aucun autre principe n'est évident.

312. Le Soi né et meurt, du fait de l'opération du prakriti karmique. De même, le prakriti karmique apparaît et disparaît comme conditionné par le Soi.

313. L'association des deux, le Soi et le prakriti karmique, est occasionnée par leur mutuelle détermination comme cause instrumentale. Ainsi, le samsarā (le cycle des naissances et des morts) est produit par eux.

314. Aussi longtemps que le Soi conscient ne rompt pas cette relation au prakriti karmique, il reste sans illumination, sans foi juste et sans discipline.

315. Mais, quand le Soi conscient rompt cette relation aux fruits infiniment variés du karma, alors le saint devient doté de la connaissance juste, de la foi juste et de la libération des karmas. Mais, l'éclairé, lorsque les fruits du karma commencent à apparaître, ne les recueille pas ; il reste simplement un spectateur.

316. La Soi non éclairé, conditionné par et s'identifiant lui-même à la nature du prakriti karmique, recueille les fruits des karmas. Par contre, l'éclairé, lorsque les fruits du karma commencent à apparaître, ne les recueille pas ; il reste simplement un spectateur.

317. L'abhavya ou le Soi inapte, même bien versé dans les Écritures, n'abandonne pas son attachement au prakriti karmique, exactement comme un serpent, en buvant du lait, ne devient pas non venimeux.

318. Le Soi éclairé, équipé d'un non-attachement complet, connaît simplement les fruits des divers karmas, doux ou amers. Il reste, par conséquent, le non-bénéficiaire.

319. Le connaisseur ne produit pas les diverses sortes de karmas et n'écope pas de leurs fruits, néanmoins il en connaît la nature et les résultats, soit bons soit mauvais, de même que l'asservissement.

320. La Connaissance aussi, comme la vue, n'est ni l'acteur ni le récepteur des karmas, mais connaît seulement l'asservissement, la délivrance, l'opération des karmas et leur effacement.

321 à 323. Selon les gens ordinaires, Vishnu crée toutes les créatures célestes, démoniaques, sous-humaines et humaines. Si, d'après les Shramanes, l'âme crée ses six sortes de corps organiques, alors, entre la doctrine populaire et la doctrine shramane, toutes deux étant identiques, aucune différence ne peut être perçue. Pour le peuple, c'est Vishnu qui crée et pour les Shramanes c'est le Soi qui crée. Ainsi, si les gens ordinaires et les Shramanes croient, tous deux, à la doctrine de la création perpétuelle des mondes humain et divin, alors il n'y a pas de chose telle que le moksha (la libération) discernable dans leur doctrine.

324 à 327. Ceux qui connaissent la nature de la réalité parlent du non-Soi comme « mien », employant le langage des gens ordinaires, alors qu'ils savent réellement qu'il n'y a pas même un atome de non-Soi qui est « mien ». De même, quand une personne parle de mon village, mon pays, ma ville ou mon royaume, ils ne sont pas réellement à elle. Cette personne parle ainsi par auto-illusion. De la même façon, une personne qui - trompée par le point de vue vyavahāra - comprend le non-Soi comme sien et s'identifie à lui, devient assurément une personne à la croyance fausse. Il n'y a pas de doute à ce sujet. Parmi les deux (les gens ordinaires et les Shramanes) si une personne, connaissant la vérité qu'aucun objet du non-Soi n'est sien, persiste encore à penser à l'existence d'une volonté créatrice produisant la réalité externe, elle le fait en étant dénuée de croyance juste. Qu'il soit compris que c'est la vérité !

328. Si la matière karmique, responsable de la foi fausse (par son propre pouvoir) fait du Soi un mauvais croyant, alors votre prakriti non-intelligent n'assume t'il pas le rôle d'un acteur intelligent ?

329. Si, d'un autre côté, l'âme cause la fausse croyance dans la matière, alors c'est la matière qui devient un non-croyant et non l'âme.

330. Encore, si l'âme et la prakriti (inanimé) créent ensemble la croyance fausse, du fait des matières karmiques, alors toutes les deux doivent jouir du fruit de leurs actions.

331. De plus, ni le prakriti karmique ni le jīva ne sont capables de produire la croyance fausse en dehors de la matière karmique. Par conséquent, ce ne sont pas les matières karmiques qui deviennent croyance fausse. Une telle vue est totalement erronée.

332 à 335. C'est par le karma que l'âme est ignorante ; c'est par le karma qu'elle est faite le Connaisseur ; c'est par le karma qu'elle est endormie et c'est par le karma qu'elle est éveillée ; c'est par le karma qu'elle est heureuse et c'est par le karma qu'elle est malheureuse ; c'est par le karma qu'elle est conduite à la croyance fausse et c'est par le même qu'elle est conduite à l'indiscipline ; c'est par le karma qu'elle est amenée à errer dans les mondes supérieur, moyen et inférieur, et par quoi le bien et le mal sont faits, c'est aussi par le karma. Parce que c'est le karma qui fait, le karma qui donne et le karma qui détruit, par conséquent, tous les jīvas doivent devenir akārakās (non-acteurs).

336 à 337. La matière karmique déterminant le sexe masculin crée un attrait pour la femme et la matière karmique déterminant le sexe féminin crée un attrait pour l'homme. Si c'est l'enseignement de l'Écriture, transmise traditionnellement par les Ācāryas, alors suivant votre gospel le désir sexuel est seulement une matière d'un karma matériel désirant un autre karma matériel comme mentionné avant.

338 à 339. Une sorte de karma (prakriti) en détruit une autre ou est détruite par une autre ; cette sorte, dans ce sens, est appelée « paraghāta » (qui tue un autre être). Par conséquent, aucune âme, d'après votre enseignement, (ne peut être considérée) fautive de tuer, parce que tuer c'est simplement une matière d'un karma matériel qui détruit un autre karma matériel, comme dit plus haut.

340-341. Si des Shramanes prêchent ainsi, approuvant le doctrine Samkhya, alors, selon eux, prakriti (la matière karmique) devient l'agent et toutes les âmes seraient inactives. D'un autre côté, si vous affirmez « mon âme se transforme par elle-même », votre opinion est fausse.

342. Dans l'Ècriture, l'âme est décrite comme étant éternelle et d'une extension infinie. Donc, de son propre gré, elle est incapable d'augmenter ou de diminuer (sa forme spatiale).

343. Sachez que l'âme, du point de vue de l'extension, est réellement co-extensible avec l'univers. Donc, comment est faite cette substance éternelle pour réaliser une forme spatiale qui augmente ou diminue ?

344. Il est accepté que le principe conscient reste de la nature de la connaissance. Donc, le Soi, de son propre gré, ne se transforme pas par lui même.

345. D'un certain point de vue (paryāyāthika naya), l'âme meurt, mais d'un autre point de vue (dravyārthika naya) l'âme ne meurt jamais. Du fait de cette nature nitya-anitya de l'âme, la vue à sens unique selon laquelle l'âme (qui jouit) est la même que l'auteur ou est entièrement différente de lui est insoutenable.

346. D'un certain point de vue (paryāyārthika naya) l'âme meurt et d'un autre point de vue (dravyārthika naya) l'âme ne meurt jamais. Du fait de cette nature nitya-anitya de l'âme, la vue à sens unique selon laquelle l'âme (qui agit) est la même que celle qui (jouit de ses fruits) ou est entièrement différente d'elle est insoutenable.

347. Qu'il soit su que la personne qui soutient la doctrine selon laquelle l'âme qui agit est absolument identique à celle qui jouit de ses fruits est une mauvaise croyante qui n'a pas la foi Arhata.

348. Que l'on sache que la personne qui soutient la doctrine selon laquelle l'âme qui agit est absolument différente de l'âme qui jouit (de ses fruits) est une mauvaise croyante qui n'a pas la foi Arhata.

349. De même qu'un artisan fait son œuvre, mais ne devient pas identique à elle, de même le Soi produit du karma mais ne devient pas identique à lui.

350. De même que l'artisan travaille avec ses outils, mais ne devient pas identifié à eux, de même le Soi agit à travers l'instrument (du trikarana de la pensée, de la parole et de l'action), mais ne devient pas identifié à eux.

351. De même que l'artisan tient ses outils (lorsqu'il travaille), mais ne devient pas identifié à eux, de même le Soi emploie ses organes du tri-karana (lorsqu'il agit), mais ne devient pas identifié à eux.

352. De même que l'artisan jouit du fruit de son labeur, mais ne devient pas un avec lui, de même le Soi jouit du fruit du karma mais ne devient pas un avec lui.

353. Ainsi, la doctrine du point de vue vyavahāra a été brièvement exposée ; écoutez maintenant celle du point de vue nishcaya qui se réfère aux changements résultant des modifications (de l'âme).

354. De même que l'artisan commence avec l'image mentale (de l'objet à produire) et la traduit en forme physique, par son activité corporelle, et ainsi est un avec elle, de même, le Soi commence avec la contrepartie mentale du karma et est, par conséquent, un avec elle.

355. De même que l'artisan fait un effort (pour transférer l'image mentale en une forme physique) en souffre toujours et est, par conséquent, un avec cette souffrance, de même le Soi qui agit comme stimulé par des états mentaux impurs subit de la souffrance et devient un avec elle.

356. De même que de la craie (lorsqu'elle est appliquée pour blanchir la surface d'une autre chose) ne devient pas cette chose, mais reste de la craie (sur la surface de cette chose), de même le Soi (en connaissant un objet) reste le connaisseur et ne devient pas l'objet connu (qui est autre que le Soi).

357. De même que de la craie (lorsqu'elle est appliquée pour blanchir la surface d'une autre chose) ne devient pas cette chose, mais reste de la craie (à la surface de cette chose), de même le Soi (en percevant un objet) reste celui qui perçoit et ne devient pas l'objet perçu (qui est autre que le Soi).

358. De même que de la craie (lorsqu'elle est appliquée pour blanchir la surface d'une autre chose) ne devient pas cette chose, mais reste de la craie (sur la surface de cette chose), de même le Soi (en renonçant aux possessions externes) reste le renonçant discipliné et ne devient pas un avec les possessions délaissées (qui sont autres que le Soi).

359. De même que de la craie (lorsqu'elle est appliquée pour blanchir la surface d'une autre chose) ne devient pas cette chose, mais reste de la craie (sur la surface de cette chose), de même la foi juste dans les Tattvas reste la foi juste et ne devient pas une avec les Tattvas.

360. Du point de vue de la réalité, la connaissance, la foi et la conduite ont ainsi été décrites ; maintenant, écoutez un bref raisonnement semblable du point de vue vyavahāra.

361. De même que de la craie blanchit une autre chose, en raison de sa nature intrinsèque (de blancheur), de même le connaisseur connaît d'autres choses, à cause de sa nature intrinsèque (de connaissance).

362. De même que de la craie blanchit une autre chose, à cause de sa nature intrinsèque (de blancheur), de même, le Soi perçoit d'autres choses, du fait de sa nature intrinsèque (de perception).

363. De même que de la craie blanchit une autre chose, du fait de sa nature intrinsèque (de blancheur), de même, le Soi qui connaît renonce aux possessions externes, du fait de sa nature intrinsèque (de non-attachement).

364. De même que de la craie blanchit une autre chose, du fait de sa nature intrinsèque (de blancheur), de même un bon croyant croit à la réalité externe, du fait de sa nature intrinsèque (de foi juste).

365. Ainsi a été dite la vérité sur la connaissance, la foi et la conduite, du point de vue vyavahāra ; les autres modes (de conscience) doivent être compris de la même façon.

366. Il n'y a pas de foi, de connaissance ou de conduite, quelles qu'elles soient, dans un objet non-intelligent ; donc, que détruit l'âme dans ces objets ?

367. Il n'y a pas de connaissance, de foi ou de conduite, quelles qu'elles soient, dans une matière karmique non-intelligente ; donc que détruit l'âme dans ces karmas ?

368. Il n'y a pas de connaissance, de foi ou de conduite, quelles qu'elles soient, dans un corps non-intelligent ; donc que détruit l'âme dans ces corps ?

369. On parle de la destruction de la connaissance, de la foi et de la conduite (de nature erronées par l'âme) ; mais la destruction de la matière n'est jamais indiquée.

370. Quels que soient les attributs présents dans une âme, ceux-ci ne sont assurément pas présents dans d'autres substances : donc, dans un bon croyant il n'y a pas d'attrait pour les objets des sens.

371. L'attachement, l'aversion et l'illusion sont des modes inaliénables de l'âme ; pour ces raisons, il n'y a pas d'attachement, etc. dans le son, etc.

372. Les propriétés d'une substance (dravya) ne sont jamais produites par une autre substance. Donc, toutes les substances sont produites par leur propre nature.

373. Les mots de blâme ou d'éloge sont (seulement) du son produit par des particules matérielles modifiées en diverses formes. En les entendant, on devient en colère ou satisfait en disant « On s'adresse à moi ainsi ».

374. Comme les mots sont réellement produits par des modifications de particules matérielles, leurs propriétés sont ainsi entièrement différentes des nôtres. Donc, ils ne s'adressent en aucune façon à vous. Pourquoi devenez vous en colère ? Oh, ignorante personne !

375. Un mot, bon ou mauvais, ne dit pas de son propre gré « Entends-moi ! ». Même quand le son atteint l'organe de l'audition, il n'arrive pas à saisir votre attention (par force).

376. Une forme visuelle, agréable ou désagréable, ne te dit pas à son gré « Regarde-moi ! ». Même si le stimulant visuel atteint l'organe de la vue, il n'arrive pas à saisir ainsi votre attention (par force).

377. Une odeur, désagréable ou agréable, ne te dit pas à son gré « Sent-moi ! ». Même si l'odeur atteint l'organe de l'odorat, elle n'arrive pas ainsi à saisir votre attention (par force).

378. Un mauvais ou un bon goût ne te dit pas à son gré « Goûte-moi !». Même quand la saveur atteint l'organe du goût (la langue), elle n'arrive pas ainsi à saisir votre attention (par force).

379. Un toucher, agréable ou désagréable, ne peut pas te dire à son gré « Touche-moi ! ». Lorsque le stimulus du contact atteint l'organe du contact (le corps), il n'arrive pas ainsi à saisir votre attention (par force).

380. La mauvaise ou la bonne qualité (d'un objet) ne peut pas à son gré te dire « Pense à moi !». Même lorsque la qualité atteint l'organe de la pensée, elle n'arrive pas à saisir ainsi votre attention (par force).

381. Une mauvaise ou une bonne substance ne peut pas à son gré te dire « Pense à moi ! ». Même quand l'idée de substance atteint l'organe de la pensée, elle n'arrive pas ainsi à saisir votre attention (par force).

382. Ainsi, dénuée d'une connaissance claire de la nature des objets de connaissance et incapable de s'abstenir de l'influence externe et elle-même n'atteignant pas le bonheur mental, la personne ignorante ne suit pas la voie de la paix.

383. Lorsqu'une personne détourne son Soi de ses karmas précédents bons ou mauvais et de multiples sortes, alors ce Soi est assurément le nishcaya pratikramana, le réel repentir.

384. Lorsqu'une personne détourne son Soi d'un futur asservissement susceptible d'être causé par des états psychiques impurs résultant de bons ou de mauvais karmas, c'est assurément le nishcaya pratyākhyāna, le réel renoncement.

385. L'âme qui comprend comme mauvais tous les états psychiques de multiples sortes qui apparaissent à présent (dans la conscience) du fait de l'opération des karmas, c'est assurément le nishcaya ālocanā, la réelle confession.

386. Le Soi qui est toujours engagé dans la pratique des réels : repentir, renoncement et confession, c'est assurément le nishcaya cāritra, la réelle conduite juste.

387. Celui qui, en expérimentant le fruit des karmas, identifie le Soi au fruit des karmas, sème de nouveau les graines de l'asservissement et du malheur karmiques de huit sortes différentes.

388. Celui qui, en expérimentant le fruit des karmas, pense qu'il l'a provoqué, sème de nouveau les graines de l'asservissement et du malheur karmiques de huit sortes différentes.

389. L'âme qui, en expérimentant le fruit des karmas, est rendue heureuse ou malheureuse, sème de nouveau les graines de l'asservissement et du malheur karmiques de huit sortes différentes.

390. L'Écriture n'est pas la connaissance, parce que l'Écriture ne connaît pas tout. C'est pourquoi, les Jinas ont dit que la connaissance est entièrement différente de l'Écriture.

391. Le son n'est pas la connaissance, parce que le son ne connaît pas tout. C'est pourquoi, les Jinas ont dit que la connaissance est entièrement différente du son.

392. La forme visuelle n'est pas la connaissance, parce que la forme visuelle ne connaît pas tout. C'est pourquoi, les Jinas ont dit que la connaissance est entièrement différente de la forme visuelle.

393. La couleur n'est pas la connaissance, parce que la couleur ne connaît pas tout. C'est pourquoi, les Jinas ont dit que la connaissance est entièrement différente de la couleur.

394. L'odeur n'est pas la connaissance, parce que l'odeur ne connaît pas tout. C'est pourquoi, les Jinas ont dit que la connaissance est entièrement différente de l'odeur.

395. Le goût n'est pas la connaissance, parce que le goût ne connaît pas tout. C'est pourquoi, les Jinas ont dit que le connaissance est entièrement différente du goût.

396. Le toucher n'est pas la connaissance, parce que le toucher ne connaît pas tout. C'est pourquoi, les Jinas ont dit que la connaissance est entièrement différente du toucher.

397. Le karma n'est pas la connaissance, parce que le karma ne connaît pas tout. C'est pourquoi les Jinas ont dit que la connaissance est entièrement différente du karma.

398. Le principe du mouvement n'est pas la connaissance, parce que le principe du mouvement ne connaît pas tout. C'est pourquoi les Jinas ont dit que la connaissance est entièrement différente du principe du mouvement.

399. Le principe du repos n'est pas la connaissance parce que le principe du repos ne connaît pas tout. C'est pourquoi, les Jinas ont dit que la connaissance est entièrement différente du principe du repos.

400. Le temps n'est pas la connaissance, parce que le temps ne connaît pas tout. C'est pourquoi, les Jinas ont dit que la connaissance est entièrement différente du temps.

401. L'espace n'est pas la connaissance, parce que l'espace ne connaît pas tout. C'est pourquoi, les Jinas ont dit que la connaissance est entièrement différente de l'espace.

402. L'effort n'est pas la connaissance, parce que l'effort ne connaît pas tout. C'est pourquoi, les Jinas ont dit que la connaissance est une chose et l'effort en est une autre.

403. Comme la caractéristique de l'âme c'est de toujours savoir, par conséquent, l'âme est assurément le sujet de connaissance, le Connaisseur, par excellence. Il doit être compris que la connaissance et le connaisseur ne peuvent pas être différenciés l'un de l'autre.

404. La connaissance est la même chose que la foi juste, la discipline, l'Écriture, constituée des Angas Pūrvas, le mérite, le démérite et l'ascétisme. Ainsi déclarent les sages.

405. Comme le Soi n'est pas corporel, il ne mange assurément pas de nourriture, car la nourriture étant de la nature de la matière est corporelle.

406. Il n'a pas d'attribut acquis ou naturel pour le rendre capable de prendre ou d'abandonner la matière étrangère.

407. C'est pourquoi le Soi, qui est de la nature de la conscience pure, ne prend ni n'abandonne aucun des objets animés ou inanimés.

408. Les fous mettent diverses sortes d'insignes de faux ascètes ou de faux maîtres de maisons et affirment que cette marque extérieure constitue la voie du moksha.

409. Une marque corporelle n'est assurément pas la voie de l'émancipation. (Cela est évident du fait que) les Arhats écartent la marque corporelle en délaissant le corps lui-même et en consacrant leur attention seulement à la foi, la connaissance et la conduite justes.

410. Les insignes de faux ascètes ou de faux maîtres de maisons ne constituent jamais la voie de la libération. Les Jinas déclarent que la foi, la connaissance et la conduite constituent ensemble la voie de l'émancipation.

411. C'est pourquoi, abandonnant les insignes adoptés par les laïcs et les sans toit, dirigez le Soi sur la foi, la connaissance et la conduite, le voie de l'émancipation.

412. Gardez le Soi sur la voie de l'émancipation, méditez sur lui, expérimentez-le, toujours agissez en lui, n'agissez pas parmi d'autres choses.

413. Le Soi réel n'est pas vu par ceux qui mettent l'habit des ascètes ou des maîtres de maisons et qui se figurent qu'ils sont ainsi les seigneurs réels.

414. Bien que le point de vue vyavahāra déclare que les deux (sortes d'insignes) sont la voie de l'émancipation, le point de vue de la réalité n'exige aucun insigne, quel qu'il soit, pour la voie de la libération.

415. La personne qui, a lu le Samaya pāhuda (sāra) et qui a compris son sens véritable, détient solidement la vérité par laquelle elle atteindra le Bonheur Suprême.

Fin du Samayasāra.

Note : La logique de certains gāthās, notamment : 144 – 153 –154 –156 – 304 - 306 - 307 et 372 ne peut être bien comprise que grâce aux commentaires du Professeur A. Chakravati et aux appendices de J.L. Jaini (Voir à ce sujet la traduction anglaise du Samayasāra par le Professeur A. Chakravarti, éditée en 2001, par Bharatiya Jnanpith à New Delhi).

Table des matières

  1. Introduction
  2. Chapitre 1 - Le Jīva ou l'âme
  3. Chapitre 2 - L'ajīva ou le sans âme
  4. Chapitre 3 - Kartā et karma – L'acteur et l'action
  5. Chapitre 4 - unya et pāpa – La vertu et le vice
  6. Chapitre 5 - Le samvara - Le blocage de l'afflux karmique
  7. Chapitre 6 - Le nirjarā – L'effacement des karmas
  8. Chapitre 7 - Bandha ou l'asservissement des karmas
  9. Chapitre 8 - Le moksha ou la libération
  10. Chapitre 9 - La connaissance toute pure